lundi 14 février 2011

La protection pénale de l’atteinte à l’identité numérique sur les réseaux sociaux

Présentation : L'identité numérique d'une personne, sur un site communautaire ou de réseau social, constituée par son "profil", est indirectement protégée, par la protection des données personnelles et du droit au respect de la vie privée et du droit à l'image. La LOPPSI II, en cours d'examen au Sénat, est sur le point de créer une protection pénale spécifique de cette identité numérique.

L'identité sur un réseau social est « constituée par son profil »[1], lequel contient de multiples informations, ou données personnelles et contributions[2].

Or, selon un rapport de Symantec « les cas d'usurpation d'identité auraient explosé [à la fin de l'année 2010], à la faveur de la multiplication de « toolkits », sites malveillants, et surtout via des actions plus ciblées sur les réseaux sociaux »[3].

Cette « identité numérique » est protégée par la loi de plusieurs manières.


I. - La protection dans le cadre du droit commun

Elle est tout d'abord protégée, depuis longtemps, de manière indirecte, au moyen de la protection des données personnelles et de la protection du nom dans le monde « physique ».

L'article 434-23 du code pénal punit, par exemple, « le fait de prendre le nom d'un tiers, dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales [ … ]. Dans ce cas, elle est punie de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. ».

La définition de l'infraction limite, on le voit, la protection de poursuites en cas d'usurpation, car l'infraction n'est constituée que si elle intervient « dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales ».

En d'autres termes, l'usurpation d'identité est sanctionnée en tant que moyen de réaliser un délit, comme un faux, un usage de faux, un vol ou une escroquerie par exemple.

L'article 434-23 ne trouve, par ailleurs, à s'appliquer que dans le cas ou l'auteur a pris « le nom d'un tiers ». De sorte qu'il ne trouve pas nécessairement à s'appliquer en cas d'usurpation de l'identité numérique caractérisée par un profil Facebook, lorsque le titulaire du compte utilise un nom d'artiste, un pseudo ou tout autre nom que ne soit pas celui de son état-civil. D'autres poursuites seraient toutefois possibles en pareil cas, sous l'angle de la contrefaçon (par exemple de propriété littéraire et artistique pour le nom d'artiste).

II. - La création du délit d'usurpation d'identité numérique

L'article 2 de la loi d'Orientation et de programmation pour la sécurité intérieure [4], dite loi Loppsi 2 a instauré un délit spécifique : le délit d'usurpation d'identité dans les télécommunications électroniques. Cet article est rédigé de la manière suivante : « l'utilisation malveillante, dans le cadre des communications électroniques, de l'identité d'autrui ou de toute autre donnée personnelle, en vue de troubler sa tranquillité ou de porter atteinte à son honneur ou sa considération sera passible de 15 000 euros d'amende et d'un an de prison ».

La France n'est pas isolée, puisque depuis le début du mois de janvier 2011, l'usurpation d'identité en ligne est punie d'un an de prison et/ou de 10 000 euros d'amende dans l'Etat de la Silicon Valley [5].

Pascal ALIX
Avocat à la Cour
alix@virtualegis.com
www.virtualegis.eu


[1] G. Desgens-Pasanau et Eric Freyssinet, L'idéntité à l'ère numérique, Presaje, ed. Dalloz, p. 82

[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Identité_numérique_(Internet)

[3] http://www.commentcamarche.net/news/5853295-l-usurpation-d-identite-via-les-reseaux-sociaux-en-nette-progression

[4] Loi adoptée par l'Assemblée nationale le 21 décembre 2010, examinée au Sénat à partir du 18 janvier 2011 ; accord en commission mixte paritaire à la fin du mois de janvier 2011

[5] http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/usurpation-d-identite-numerique.shtml


L’atteinte à la vie privée et au droit à l’image par la mise en ligne d’un faux profil Facebook

Les réseaux sociaux sont, certes, un espace de liberté et notamment de liberté d'expression. Il est, par ailleurs, d'usage, sur le réseau internet de jouer avec de multiples (et fausses) identités, qu'il s'agisse d'identités de fantaisie (avatars, pseudos) ou d'identités bien réelles, appartenant à des tiers.

Or, si, en lui-même, l'usage d'un pseudo est généralement sans conséquence - sauf lorsqu'il caractérise manifestement, ce qui est assez rare, une contrefaçon - l'usurpation de l'identité d'un tiers, notamment par la publication d'un « faux profil » sur le site d'un réseau social, est susceptible d'avoir de graves conséquences.

Dans une décision assez récente, le T.G.I. de Paris a rappelé, au sujet de la fausse page d'un humoriste ayant une assez grande notoriété, la nécessité de respecter, dans les réseaux sociaux, l'identité, la vie privée et le droit à l'image, ce sans aucunement faire référence aux conditions générales d'utilisation du site.

Prétendant qu'une personne usait de son identité sans son autorisation sur le réseau social « Facebook » et que de nombreuses personnes s'y étaient présentées, ainsi trompées, comme étant ses amis et que les informations personnelles ainsi que les photographies ainsi diffusées étaient constitutives d'atteintes à sa vie privée et à son droit à l'image, Omar S. dit Omar, auteur, artiste interprète et humoriste membre du duo humoristique « Omar et Fred » a saisi, le 27 février 2009, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris aux fins que soit ordonné à la société Facebook de lui communiquer « les données de nature à permettre l'identification de la personne ayant publié sous son identité la page accessible à l'adresse sus mentionnée et de suspendre la représentation de son profil jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond ».

Faisant partiellement droit aux demandes d'Omar S., la société Facebook Inc. a communiqué à son conseil l'adresse IP de la personne ayant publié la « page » litigieuse sous son identité.

Ce dernier s'est alors prévalu de ce que l'adresse IP aurait pu être modifiée ou usurpée par un tiers. Il s'est prévalu de la règle, dégagée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mai 2007 selon laquelle « la série de chiffres (formée par l'adresse IP) ne constitue en rien une donnée indirectement nominative relative à la personne » dans la mesure où elle ne se rapporte qu'à une machine et non à la personne qui utilise l'ordinateur pour se livrer à la contrefaçon.

Le T.G.I. de Paris a écarté le moyen de défense, en retenant que « Alexandre P. n'établit, ni même n'allègue qu'un tiers aurait utilisé sans son accord son ordinateur ou que l'adresse IP qui lui était attribuée aurait été frauduleusement détournée, étant précisé que la preuve d'une telle usurpation aurait pu être rapportée tant par une enquête diligentée à la suite d'une plainte pénale que par une expertise civile judiciaire, en examinant notamment l'ordinateur émetteur. ».

En d'autres termes, le tribunal retient que la charge de la preuve de l'utilisation de l'ordinateur par un tiers ou de l'usurpation pèse sur la personne dont l'ordinateur a été identifié au moyen de l'adresse IP communiquée par l'entreprise exploitant le site de réseau social. L'adresse IP créé, de cette manière, une présomption simple.

Le Tribunal a ensuite rappelé les principes suivants :

« Toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit, en application de l'article 9 du code civil, au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même les limites de ce qui peut être divulgué à ce sujet. Toute personne dispose également, en application du même texte, d'un droit exclusif qui lui permet de s'opposer à la reproduction de son image, sans son consentement préalable. »

« Ces droits qui découlent également de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peuvent toutefois céder devant les nécessités de l'information du public et de la liberté d'expression, consacrées par l'article 10 de la même Convention, dans le cadre de l'équilibre qu'il revient au juge de dégager, en vertu du second alinéa du dit article, entre ces principes d'égale valeur dans une société démocratique ».

Après avoir ensuite rappelé que « la seule constatation des atteintes à la vie privée et au droit à l'image ouvre droit à réparation », le Tribunal de Grande Instance de Paris (17ème chambre civile) a, par jugement du 24 novembre 2010 :

- décidé qu'Alexandre P., en mettant en ligne sur le site www.facebook.com un « faux profil » d'Omar S. dit Omar, avait porté atteinte à la vie privée et au droit à l'image de celui-ci ;

- condamné Alexandre P. à payer à Omar S. dit Omar la somme totale de 1500 € (500 € pour l'atteinte à la vie privée et 1000 € pour la violation du droit à l'image), à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant, ainsi que la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pascal ALIX
Avocat à la Cour

alix@virtualegis.com

www.virtualegis.eu

lundi 15 novembre 2010

L'interruption temporaire d'exploitation d'un fonds ne met pas obstacle à la conclusion d'un contrat de location-gérance

La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 15 septembre 2010 (pourvoi n° 09-68521, à publier au Bulletin), que la cessation temporaire d'activité n'impliquait pas en elle-même la disparition de la clientèle. Elle en a déduit que l'interruption temporaire d'exploitation d'un fonds ne mettait pas, dans le cas présent, obstacle à la conclusion d'un contrat de location-gérance.

Faits et procédure :

Le 9 mai 2006, M. Claude X... , venu en qualité d'héritier aux droits de M. Guiseppe X..., titulaire d'un bail et propriétaire d'un fonds situé à Lourdes, a donné le fonds de commerce en location-gérance à la société Multiprix. Le 27 juin 2006, la bailleresse a délivré à M. X..., propriétaire du fonds, un congé portant refus de renouvellement sans indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes, puis a assigné M. X... et la société Multiprix, locataire-gérante, en validation de ce congé et en expulsion.

Par arrêt du 19 mars 2009, la Cour d'appel de Pau a rejeté les demandes de la bailleresse en disant que M. X...pouvait prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction (en sa qualité d'héritier de l'ancien exploitant du fonds) et au droit au maintien dans les lieux en dépit de l'interruption temporaire d'exploitation à la suite du décès de l'exploitant.

La Cour de cassation a statué de la manière suivante : "qu'ayant relevé souverainement que l'interruption temporaire d'exploitation à la suite du décès de l'exploitant n'avait pas affecté l'achalandage attaché au fonds en raison de l'activité exercée concernant en quasi totalité la clientèle de passage constituée par les pèlerins venant à Lourdes et que, tout comme l'achalandage, la clientèle du fonds n'avait pas davantage pâti de l'interruption de l'exploitation, s'étant naturellement reconstituée dès la réouverture du fonds au public, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé l'existence d'une clientèle actuelle et certaine et non future ou potentielle, en a déduit, à bon droit, que le fonds de commerce litigieux n'avait pas disparu à la date de la conclusion du contrat de location-gérance".

Remarque : cet arrêt n'est pas nécessairement transposable à tous les fonds. Le fonds ici analysé est particulier "en raison de l'activité exercée concernant en quasi totalité la clientèle de passage".

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