lundi 9 mars 2009

Pourquoi la Justice est-elle aussi lente ?



Pourquoi des procès et surtout des procès qui durent aussi longtemps ? Les textes devraient, en effet, dans un monde idéal (notamment dans celui imaginé par les philosophes "des lumières") être clairs et simples (rappelons la présomption selon laquelle personne n'est censé ignorer la loi), de sorte que le procès ne devrait être qu'une formalité. Mais c'est impossible, ce pour de muliples raisons.

Tout d'abord parce la multiplication et la "technicité" de plus en plus grande des textes les rendent de moins en moins clairs et de moins en moins compréhensibles, de sorte que des interprétations - par les tribunaux - sont souvent nécessaires lorsque les textes sont confrontés aux faits.

Ensuite, c'est une autre évidence, que personne ne peut sérieusement nier, l'institution judiciaire manque de moyens. Les procès se multiplient, sans que la Justice ne dispose des moyens humains (notamment magistrats et greffiers) et matériels (locaux, matériel informatique, etc.) suffisants pour rendre la justice dans de meilleurs délais.
Les avocats participent, certes, à la lenteur de la Justice, en demandant parfois que l'affaire soit "renvoyée" à une audience ultérieure. Parfois pour des bonnes raisons (notamment pour examiner le dossier adverse avec son client, ce qui impose un renvoi). Parfois pour de moins bonnes raisons (volonté dilatoire, c'est à dire de "faire traîner" le procès lorsque son client n'a pas intérêt à ce que le juge rende sa décision rapidement...).
Peut-être pourrait-on imaginer de limiter le nombre des audiences par affaire, pour désencombrer les tribunaux. Mais cette mesure est délicate à mettre en oeuvre, notamment lorsque les affaires sont complexes et mettent en présence un grand nombre de parties.
La mesure qui serait la plus utile, à savoir de réduire le temps entre deux audiences (réduire, par exemple, à un mois, le délai séparant deux audiences en matière civile), ne peut malheusement pas être appliquée, faute de moyens humains suffisants (nombre de magistrats et de greffiers).
Il faut enfin reconnaître que la société - qui a, parfois pour des raisons futiles, le "culte de l'urgence" - supporte de moins en moins la lenteur. Or, la Justice a parfois besoin de temps. Notamment lorsqu'il est nécessaire de faire procéder à des expertises, des auditions, des confrontations, etc.
Les parties ont parfois des demandes contradictoires qui s'expliquent par une méconnaissance - légitime - du fonctionnement de la justice, mais qui alourdissent les procédures et, par conséquent, le temps de traitement des dossiers : elles souhaitent présenter des dossiers comportant un luxe de détails innombrables tout en exigeant que leur affaire soit traitée rapidement à la première audience...
Mais c'est sans compter avec le principe du contradictoire, qui exige que chaque argument soit examiné et que chaque pièce soit analysée avec un délai suffisant avant l'audience (au moins 15 jours en pratique et plus lorsque les arguments sont complexes et/ou les pièces nombreuses) par la partie adverse, avec l'aide de son avocat.
Bref, dans un Etat de droit, les décisions judiciaires doivent être rendues sereinement et en temps utile, ni trop lentement (notamment lorsqu'un plaideur est privé de ressources ou de liberté) ni trop vite (rappelons nous des périodes troublées de l'histoire de France où les procès n'étaient qu'une mise en scène de condamnations décidées à l'avance).

vendredi 6 mars 2009

Un avocat, à quoi ça sert ?




A rien, sauf à nous prendre de l'argent, dirons les plus mal intentionnés ou ceux - malheureusement assez nombreux - qui auront eu une mauvaise expérience du système judiciaire, avec ses lenteurs, sa complexité vécue comme un manque de transparence, son jargon et ses rituels d'un autre siècle, ses décisions aléatoires et vécues comme des injustices et l'indisponibilité des avocats, qui courent par monts et par vaux d'un tribunal à l'autre et qui, par conséquent, sont souvent injoignables...

En fait, un avocat, ça sert surtout à éviter cela ! Un avocat expérimenté connaît les limites du système judiciaire. Et c'est pour cela que ses conseils peuvent être précieux. Il procède à une analyse préalable du dossier (comme le médecin procède à un diagnostic et fait, le cas échéant, procéder à des analyses et à des radiographies) afin de déterminer la meilleure stratégie, qui peut être judiciaire ou s'inscrire dans un processus de recherche active d'une solution transactionnelle. Cette analyse préalable objective du dossier - quel que soit le dossier - est absolument indispensable.

Agir directement en justice sans effectuer une analyse soigneuse du dossier équivaudrait à opérer un patient sans disposer de toutes les données (carnet de santé, radiographies, diagnostics, etc.)...

Ce conseil éclairé n'est pas une information juridique.

Sur le réseau internet, on peut trouver une masse impressionnante d'informations juridiques, souvent en accès gratuit, parfois précises et de bonne qualité, notamment lorsqu'elles émanent de sources officielles.

Mais prendre connaissance d'une information juridique est une chose. Savoir de quelle manière elle s'applique à son cas en est une autre, qui nécessite une longue formation et un (très) long apprentissage, qui se nourrit notamment de l'expérience acquise devant les tribunaux.

L'analyse d'un dossier qui conduit à un conseil personnalisé, se distingue en cela de la fourniture d'une information juridique. Seul un conseil juridique personnalisé après analyse du dossier peut éviter des catastrophes sur le plan financier et sur le plan humain.

Une scène bien connue concernant le prix des oeuvres de Picasso - toutes choses égales par ailleurs, tout avocat n'ayant pas nécessairement un talent équivalent à celui que Picasso avait dans le domaine de la peinture - résume la fixation du prix du conseil juridique personnalisé, souvent considéré comme élevé, voire injustifié :

" Combien vous dois-je ? ", demande une femme à qui Picasso vient de faire un portrait.

" Cinq mille francs ", répond le peintre.

" CINQ MILLE FRANCS ??? " , [...] " Mais enfin, cela ne vous a pris que cinq minutes ! "

" Non ", répond Picasso avec une fermeté qui ne laisse pas la moindre place à la polémique. " Cela m'a pris toute ma vie ".

jeudi 5 mars 2009

Les pouvoirs de la méchante CPD

Notre estimé confrère et bloggeur émérite Maître EOLAS a fait état, dans l'un de ses papiers (http://www.maitre-eolas.fr/2009/03/04/1333-hadopi-mon-amie-qui-es-tu) - toujours très bien écrit et très agréable à lire - de ce que la "méchante" CPD, à savoir la Commission de Protection des Droits (de quels droits direz vous...) pouvait, au terme du projet de loi dit "HADOPI", adresser à l'abonné d'un FAI une "recommandation par voie électronique [qui] ne divulgue pas les contenus des éléments téléchargés ou mis à disposition.".

Ce serait, en effet, une recommandation assez étrange, qui sonne à nos oreilles comme les avertissements policiers très en vogue entre la 3e et la 4e République... Nous en savons beaucoup sur vous. Nous savons que vous n'êtes pas en règle, que vous pratiques sont illicites. Attention ! Sans faire état desdites pratiques...

Cette "recommandation" - qui emporterait des effets de droit puisqu'elle constituerait le début d'un processus ayant pour terme une suspension de services sur ordre d'une autorité administrative - serait alors d'une nature juridique assez curieuse, puisque tout acte administratif doit, par définition, être motivé, ne serait-ce que sommairement.

En d'autres termes, le législateur et l'administration pourraient ils faire produire des effets de droit à un acte administratif non spécialement motivé ? Il est permis d'en douter. Et il est fort probable que certains abonnés n'hésiteront pas, se saisissant de cette question, de la soumettre au contrôle du juge, puis après avoir épuisé les voies de droit internes, à la Cour Européenne des droits de l'homme.

Ceci étant dit, le texte est un projet. En l'état actuel de celui-ci, il prévoit « une recommandation lui rappelant les prescriptions de l’article L. 336-3, lui enjoignant de respecter cette obligation et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement. La recommandation doit également contenir des informations portant sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites pour la création artistique ».

De sorte que rien n'interdit encore, à mon sens, à la CPD de motiver, conformément aux exigences du droit commun, son courriel en faisant état des "manquements" précis reprochés à l'abonné.

Pour un rappel du dîspositif prévu par le projet de loi : V. sur Net-Iris : http://www.net-iris.fr/veille-juridique/dossier/19972/un-projet-de-loi-tend-a-favoriser-la-diffusion-et-la-protection-de-la-creation-sur-internet.php